Ramsar awards 2012

Prix pour la gestion 2012

Mme Augusta Henriques, Secrétaire générale, TINIGUENA, Guinée-Bissau

Le Prix Ramsar pour la gestion est attribué à Mme Augusta Henriques pour le rôle central qu’elle a joué dans la création de l’ONG Tiniguena (« Cette terre est la nôtre ») en 1991, pour l’impulsion qu’elle a donné à la création d’une aire marine protégée communautaire dans les îles Urok – la première aire marine protégée reconnue par le Gouvernement de Guinée Bissau, et pour sa collaboration à long terme avec les communautés à cet effet. C’est dans l’archipel des Bijagós que Mme Henriques a créé cette aire marine protégée communautaire comprenant des mangroves et des étendues à marée où l’on trouve de nombreux oiseaux et autres espèces, notamment des tortues marines et des lamantins.

Mme Henriques a travaillé de manière exemplaire et originale avec les communautés locales pour préserver la culture locale et lui permettre d’évoluer, tout en œuvrant pour garantir des moyens d’existence durables. Le système de gestion communautaire prôné par Mme Henriques et Tiniguena a permis, en particulier, la reconstitution des stocks de poissons. Elle a veillé à la participation de tous les acteurs, à tous les niveaux de la société, y compris les femmes et les jeunes. Une des clés du succès de Mme Henriques est le dialogue entre tous les villages de l’archipel grâce auquel les membres des communautés locales ont acquis une compréhension commune des règles d’accès et d’utilisation de la région et de ses ressources. L’importance de l’autonomisation des populations locales en matière de gestion des ressources naturelles, l’intégration réussie des institutions gouvernementales, des échanges avec des projets semblables dans la région et des appels de fonds auprès d’institutions internationales ont été les grands axes des travaux de Mme Henriques. 

Mme Henriques a inscrit les principes de la Convention sur les zones humides au cœur de ses travaux et a collaboré avec l’Autorité administrative de la Convention de Guinée Bissau. Dans son pays et dans la région, elle travaille en partenariat avec certaines OIP de la Convention et d’autres organisations internationales telles que l’UICN, Wetlands International, le WWF et la Fondation du Banc d’Arguin (FIBA). Elle a joué un rôle important dans la création d’un réseau d’aires marines protégées en Afrique de l’Ouest, ainsi que dans le cadre d’un programme pour la conservation des zones côtières et marines. Par son approche nouvelle, son intelligence, ses efforts infatigables et son dévouement, Mme Henriques est une des grandes figures de la conservation de l’environnement en Guinée Bissau et en Afrique de l’Ouest.

Interview avec Mme Augusta Henriques

Que pouvez-vous nous dire de votre expérience et de l’histoire de Tiniguena?

TINIGUENA signifie en langue locale « Cette Terre est à Nous ! C’est une ONG fondée le 5 juin 1991 avec la mission de: « Promouvoir un développement participatif et durable, basé sur la conservation des ressources naturelles et culturelles et l’exercice de la citoyenneté ». Les fondateurs de Tiniguena ont projeté une vision selon laquelle la Guinée-Bissau doit être un lieu où les populations peuvent vivre en paix, dignité et prospérité et ont le droit de participer et de bénéficier du développement de leur pays, tout en s’appropriant et valorisant leur patrimoine naturel et culturel, pour le bien être des générations présentes et futures.

Depuis sa création, Tiniguena est devenue une référence nationale dans les domaines de l’environnement, du développement participatif et de la citoyenneté, ses 3 axes d’intervention. Ces dernières années, elle a actualisé ses thématiques abordant les questions liées à la valorisation de la biodiversité et des savoirs locaux associés, du patrimoine génétique, des droits des communautés, dans une optique de promotion de la souveraineté alimentaire. Ces questions sont prises en compte par son programme l’Espace de la Terre. Le programme Urok aborde la conservation des zones humides, la gouvernance participative d’une Aire Marine Protégée, la sauvegarde du patrimoine culturel, la promotion du genre, de l’équité et du développement local, dans une perspective de droits d’accès prioritaire et de souveraineté des communautés résidentes sur leur territoire. Le programme Jeunesse et Citoyenneté aborde des thèmes qui sont au cœur de son travail d’information, de sensibilisation et de plaidoyer, tel que l’accaparement des terres, les agro-carburants, les industries extractives, la conservation de la zone côtière et des zones humides, la bonne gouvernance des ressources naturelles, le droit à la paix et au développement. La jeunesse occupe une place centrale dans les interventions de Tiniguena. La Nouvelle Génération de Tiniguena, qui rassemble les adolescents ayant participé aux 14 visites d’étude aux sites du patrimoine naturel et culturel national, est considérée comme un vivier de formation de leaders de la jeunesse et des futurs citoyens engagés dans la conservation du patrimoine naturel et culturel et le développement durable du pays.

Quand avez-vous pris conscience de la valeur des zones humides pour la population de Guinée-Bissau ? Et comment avez-vous découvert la Convention sur les zones humides et son utilité dans le cadre de votre travail ?

J’ai pris conscience de la valeur des zones humides il y a 25 ans, à l’occasion de la préparation du programme national de planification de la zone côtière, piloté avec l’assistance technique de l’UICN et qui a mis en lumière le rôle des zones humides. Dans ce cadre la principale zone humide du pays, les lacs de Cufada, a été classée en zone humide d'importance internationale (Site Ramsar), une opération qui a constitué une opportunité pour faire comprendre les valeurs et les fonctions des zones humides. Dans ce double contexte et forte de l’éveil des consciences favorisé par cette dynamique, j’ai été amenée a prendre en considération la demande d’assistance des communautés des iles Urok dans l’archipel des Bijagós pour les soutenir dans leurs efforts de conservation de leurs ressources des agressions des pêcheurs non résidents et, plus tard, des projets de tourisme qui envisageaient l’exploitation d’une ile sacrée.

Que pouvez-vous nous dire de votre travail avec la Convention sur les zones humides – pouvez-vous nous en dire plus, notamment sur l’importance de la Convention et sur son impact en Guinée-Bissau? 

La Convention a permis de classer et de protéger la principale zone humide de la GuinéeBissau, à savoir les lacs de Cufada, qui sont à la fois le principal réservoir d’eau douce de la région de Quínara (au sud du pays) et un haut lieu de la biodiversité. Le travail fait autour de ce classement, que Tiniguena a diffusé a travers une campagne de sensibilisation sur Cufada, a contribué à faire émerger une conscience nationale sur les valeurs des zones humides. Cela s’est avéré d’autant plus important qu’une grande partie du pays, avec son système de rias et ses larges formations de mangroves d’une part, et la présence de l’Archipel des Bijagós d’autre part, peut-être considérée comme une vaste zone humide.

Utilisez-vous la Convention et ses lignes directrices? Si oui, de quelle manière? 

Nous utilisons essentiellement les lignes directrices de la Convention pour nous inspirer des principes et valeurs préconisés pour l’utilisation responsable (wise use) des écosystèmes des zones humides. Nous espérons, dans un futur proche, être en mesure de faire classer le Complexe des îles Urok (Reserve de Biosphère de l’Archipel des Bijagós) comme un site Ramsar. En effet, le site se caractérise par des populations importantes d’oiseaux d’eau migrateurs, la présence de vastes superficies de vasières intertidales et de mangroves. 

Il semble que vous travaillez volontiers en collaboration, en incluant des ONGs et des services gouvernementaux ainsi que des représentants des communautés locales et indigènes. Pourriez-vous nous en dire plus sur votre approche ? 

Le travail actuel de Tiniguena dans l’Aire Marine Protégée Communautaire des îles Urok consiste fondamentalement à animer un processus de gouvernance participative de cette AMPC, encourageant une forte implication des communautés locales, ainsi que la participation d’autres acteurs tels que les autorités traditionnelles et administratives locales, l’organe central de tutelle des AMP (l’IBAP), le service national chargé de la surveillance maritime (Fiscap), l’institution de recherche et suivi halieutique (CIPA), la Direction de la Pêche Artisanale (Pescarte), qui font tous partie de la table de concertation de l’AMPC Urok. La concertation se structure autour des organes de gestion qui permettent de prendre des décisions collégiales en assemblée générale annuelle où tous les villages des 3 îles du complexe sont représentés, orientés par les avis du Conseil Technique et Scientifique et validés par le Conseil des Anciens. Tiniguena soutient en plus un processus d’animation socioculturel intense impliquant fortement les jeunes, afin de favoriser des nouvelles synthèses culturelles permettant de faire le pont entre la tradition et la modernité. Tiniguena appuie des initiatives de développement communautaire permettant d’améliorer le cadre de vie des résidents, ce qui renforce davantage l’adhésion d’un éventail chaque fois plus large des populations résidentes.

Quel serait votre message aux lecteurs sur l’importance de l’utilisation rationnelle des zones humides? 

Dans les pays du Sud comme la Guinée-Bissau, les ressources naturelles occupent une place prépondérante tant pour l’économie que pour la sécurité alimentaire des populations. Pour maintenir la productivité de ces ressources renouvelables, il faut maintenir des écosystèmes en bonne santé. Pour y parvenir il est essentiel que les communautés conservent la maîtrise de leur territoire et bénéficient de droits d’accès prioritaire reconnus. En effet, si on leur donne les moyens, la confiance et des garanties à long terme du respect de leurs droits, ces communautés sont les mieux placées et intéressées pour assurer une utilisation rationnelle des zones humides. Par leur culture, par leurs savoirs, par leur dépendance vitale aux ressources naturelles, elles sont les véritables gardiens et garants de leur durabilité.

Comment les lignes directrices, les principes ou la mission de la Convention cadrent-ils avec votre philosophie et le programme de Tiniguena? 

La philosophie et le programme de Tiniguena s’appuient sur les principes suivants:

  • L’approche participative dans la conception des projets et la gestion des zones humides et de leurs ressources;
  • La reconnaissance des savoirs locaux et leur valorisation dans la gestion des espaces et ressources naturelles;
  • La reconnaissance des droits d’accès prioritaire ou exclusif aux communautés résidentes ; 
  • Le suivi participatif de quelques indicateurs de la situation des ressources et du bien être des communautés;
  • L’importance de l’information, de la sensibilisation et de l’éducation des communautés locales, du grand public ainsi que des décideurs et de toute la société.

Ces différents principes qui guident l’action de Tiniguena rejoignent, dans leurs grandes lignes, les principes de la Convention.

Quelle est votre réaction à la nouvelle que le Prix Ramsar vous a été décerné ? Allez-vous utiliser ce Prix pour obtenir un “effet de levier” pour accomplir vos objectifs à l’avenir? 

J’ai ressenti un sentiment de grande fierté pour le travail accompli par mon organisation, Tiniguena, en faveur des zones humides. Le prestige de cette reconnaissance internationale sera mis au profit de la cause de la conservation des zones humides en Guinée-Bissau, notamment au service du travail de plaidoyer pour obtenir le classement de l’AMPC Urok comme Site Ramsar, et sera aussi bénéfique aux autres AMP de la Guinée-Bissau. Il me semble clair que l’attribution de ce prix nous apportera un pouvoir d’audience et d’influence accru auprès des autorités nationales ainsi que des organisations internationales de la conservation partenaires de la Guinée-Bissau telles que l’UICN, dont Tiniguena est membre.

A votre avis, quels sont les aspects les plus importants de vos réalisations, que vous souhaiteriez voir soulignés dans le contexte du Prix Ramsar? 

  • Le travail de découverte, d’information et de sensibilisation sur les grands sites du patrimoine naturel et culturel de la Guinée-Bissau développé par Tiniguena depuis vingt ans, qui a contribué à l’éveil d’un sentiment de fierté nationale et a mis en valeur le réseau national des Aires Protégées qui couvre aujourd’hui environs 15% du territoire national ;
  • La formation des nouvelles générations plus engagées dans les questions environnementales (La Nouvelle Génération de Tiniguena – GNT) et l’éveil d’une conscience environnementale croissante auprès de la société bissau-guinéenne;
  • La création de l’AMPC Urok, la première du genre dans le pays, qui a influé sur la loi cadre des Aires Protégées de la Guinée Bissau, qui reconnaît désormais le principe et le modèle des aires de gestion communautaire;
  • Le processus de création et de gestion participative de l’AMPC Urok qui est considérée au niveau régional comme un exemple de gouvernance participative locale qui intègre la nature, la culture et le développement, tout en favorisant l’implication de la jeunesse comme la force vive pour les défis du futur;
  • Le travail de valorisation économique et socioculturel des produits de la biodiversité traduit par la ligne kil ki di nos ten balur, produits commercialisés au niveau national sous le label de Produits de la Terre, qui s’est traduit par l’augmentation de la demande et de la consommation des produits locaux. 

www.tiniguena.org